Le grand orgue Jean-Baptiste PUGET de la Métropole d'Albi

09 Juillet 2009
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 Albi - Cathédrale Sainte Cécile - avant 1904



1. – L'ORGUE, DE CHRISTOPHE MOUCHEREL A ANTOINE PEYROULOUS (1736 - 1824)

Le 20 octobre 1734, l'archevêque d', Monseigneur Armand-Pierre de la Croix de Castries, commande un instrument neuf à Christophe , pour remplacer l'ancien orgue gothique de la cathédrale.

Moucherel, dans une sorte d'autobiographie, se décrira ainsi :


"Je suis né à Toul l'an 1686... mon père était aubergiste. C'est depuis douze jusqu'à dix huit que je me suis appris à tourner, sans l'aide d'aucun Tourneur, j'ai entré dans les troupes en 1705, à l'âge de 18 ans... j'ai fait trois campagnes en Allemagne, à l'âge de 21 ans... j'ai été reçu Maître Menuisier à Toul... à 24 ans je me suis marié à mon malheur, j'ai épousé Anne Rutton...

Je sçai trois grandes professions, sans compter plusieurs autres petites, desquelles je n'ai fait aucun apprentissage... Ma première profession étoit Tourneur & Menuisier que j'ai exercé à Toul pendant trois ans, y étant Maître, la seconde est Facteur d'orgues à Metz pendant 12 ans... la troisième est celle de Fondeur en caractères d'Imprimerie que j'ai exercé pendant trois ans, tant à Metz qu'à Paris... j'ai commencé à faire la première orgue en 1716... à l'âge de 30 ans... j'en ai fait douze..."


Maître menuisier, il l'était assurément, à en juger par le monumental buffet (16,2 mètres de largeur sur 15,2 mètres de hauteur !) qui orne le fond de la cathédrale. L'orgue acquit très vite une grande notoriété, une gravure du buffet sera publiée dans le tome IV de L'histoire du Languedoc de Dom Vaissète en 1742.


L'Histoire de Languedoc - Tome IV, page 40


Il se composait ainsi :


I - Positif (50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 8' - Bourdon 8' - Prestant 4' - Flûte à cheminée 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Tierce 1' 3/5 - Larigot 1' 1/3 - Fourniture 4 rangs - Cymbale 2 rangs - Cromorne 8'.

II - Grand Orgue
(50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 16' - Bourdon 16' - Montre 8' - Bourdon 8' - Gros Nazard 5 1/3 - Prestant 4' - Flûte à cheminée 4' - Grosse Tierce 3' 1/5 - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Quarte de Nazard 2' - Tierce 1' 3/5 - Fourniture 6 rangs - Cymbale 4 rangs - Grand cornet 5 rangs - Trompette 8' - Voix humaine 8' - Clairon 4'.

III - Récit (27 touches, Do3-Ré5)
Cornet 5 rangs - Trompette 8'.

IV - Écho (39 touches, Do2-Ré5)
Bourdon 8' - Prestant 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Tierce 1' 3/5 - Fourniture 3 rangs - Cromorne 8'.

Pédale (27 touches, Do1-Ré2, A0 sur 1er do#) :
1ère Flûte 8' - 2ème Flûte 8' - Flûte 4' - Trompette 8' - Clairon 4'.



Lors de la réception de l'instrument, le 2 décembre 1736, l'organiste de la cathédrale de Mende - Gilbert Sauvatge - constate les défauts suivants :

" Quand on touche le clavier du positif beaucoup de touches parlent par deux fois... c'est un défaut très notable... Le facteur doit égaliser quelques touches du grand clavier qui sont rudes et ne parlent que quand elles sont à demi-baissées... Il doit faire enfoncer d'avantage les marches du clavier des pédalles... Les pédalles de trompettes ne sont pas assez bruyantes... puisque les pédalles de clairon dominent sur icelles... Il en est de même de la trompette du Grand Orgue dont les tuyaux sont un peu faibles..."

Le 23 septembre 1737, nouvelle réception de l'instrument par Laurent Desmasures, organiste de l'église abbatiale de Moissac.

Comme ce fut toujours le cas avec les orgues de Moucherel, très vite de nombreux problèmes apparaissent...

En 1747, François
(père) et Jean-François L'épine (fils) reconstruisent les sommiers du Positif, du Grand Orgue et de la Pédale.



Inscription relevée par sur un barrage d'un sommier de Pédale
Les présents sommiers de pédale, ceux du grand orgue et positif ont été construits en 1747 par françois L'Épine ayney facteur d'orgues, et a été aidey par jean françois L'Épine son fils ayney - a Alby le 2° Aoust 1747.


Les L'épine restaureront également un certain nombre de tuyaux et ajouteront une Bombarde 16' à la Pédale, une Trompette et un Clairon au Positif et remplaceront la Flûte à cheminée 4' du Grand Orgue par une 2ème Trompette 8'.

En 1778-1779 Joseph
réalise une importante restauration de l'instrument. Il ajoute également un Cornet au Positif, réunit Fourniture et Cymbale de ce même clavier sur un même registre et ajoute un clavier de Bombarde ainsi composé :


1ère Bombarde 16' - 2ème Bombarde 16' - Trompette 8' - Clarinette 8' en chamade (Do3) - Hautbois 8' (Fa2) - Clairon 4' - Cornet 5 rangs.


Dès 1810, le facteur d'orgues toulousain Antoine entretient l'instrument, réalise des travaux en 1817 et se voit confier en 1824 une importante restauration avec ré-aménagement de la composition et ajout de jeux neufs :

Une des deux bombardes est alors déménagée au Grand Orgue à la place du Clairon, qui prend lui-même celle de la Quarte de Nazard supprimée. Une 2ème Trompette 8' prend la place de cette Bombarde. Une Flûte 16' en chataignier est installée à la Pédale et un dessus de Clarinette en chamade prend place au Positif. La composition de l'instrument devient alors :


I - Positif (50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 8' - Bourdon 8' - Prestant 4' - Flûte à cheminée 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Tierce 1' 3/5 - Larigot 1' 1/3 - Fourniture 6 rangs - Cornet 5 rangs - Trompette 8' - Cromorne 8' - Clarinette en chamade 8' (Fa2) - Clairon 4'.

II - Grand Orgue
(50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 16' - Bourdon 16' - Montre 8' - Bourdon 8' - Gros Nazard 5 1/3 - Prestant 4' - Grosse Tierce 3' 1/5 - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Tierce 1' 3/5 - Fourniture 6 rangs - Cymbale 4 rangs - Grand cornet 5 rangs - Bombarde 16' - 1ère Trompette 8' - 2ème Trompette 8' - Voix humaine 8' - Clairon 4'.

III - Bombarde (50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Bombarde 16' - 1ère Trompette 8' - 2ème Trompette 8' - Clarinette 8' en chamade (Do3) - Hautbois 8' (Fa2) - Clairon 4' - Cornet 5 rangs.

IV - Récit (27 touches, Do3-Ré5)
Cornet 5 rangs - Trompette 8'.

V - Écho (39 touches, Do2-Ré5)
Bourdon 8' - Prestant 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Tierce 1' 3/5 - Cromorne 8'.

Pédale (27 touches, Do1-Ré2, A0 sur 1er do#) :
Flûte 16' - Flûte 8' - Flûte 4' - Bombarde 16' - Trompette 8' - Clairon 4'.



Ainsi composé, l'orgue d'Albi est non seulement le chef d'œuvre de la facture d'orgues méridionales, mais également l'un des plus grands instruments du pays !


2. – LE DÉCLIN (1824 - 1902)


En 1838, l'orgue est dans un état de délabrement total ! En 1840-1841, les Frères
de Mirecourt restaurent l'instrument. Les claviers et le pédalier sont refaits à neuf, ainsi que la soufflerie. Le Gros Nazard est supprimé au profit d'un dessus de Flûte 8' (Sol2), la Grosse Tierce est remplacée par une Flûte 4'. Le Larigot cède sa place à une Flûte allemande 4'. Deux Gambes sont ajoutées au Récit et le Cornet de l'Écho est refait à neuf.

Ces travaux se révéleront catastrophiques pour l'instrument ! Au lieu de restaurer les sommiers, les frères Claude se contenteront de diminuer notablement la pression pour diminuer les emprunts, avec pour conséquence "l'altération de tous les jeux". Lors de la réception des travaux, le a octobre 1841, l'expert de la Commission des arts et édifices religieux - Charles SI MON - constate :


"...La soufflerie est insuffisante pour la grandeur de l'instrument... Tous les jeux à bouche ont été coupés à leur lèvre supérieure, les biseaux ont été amincis... Toutes les languettes des jeux d'anches ont été dressées et la cambrure a été détruite... Ce travail est une mutilation coupable d'un instrument dont la qualité de son était précédemment excellente et qui avait été l'objet de l'admiration générale..."

En 1845, Aristide établit un devis de reconstruction auquel il ne sera pas donné suite. En 1856, Frédéric , reconstruit le mécanisme de la soufflerie et du clavier de pédale, change des porte-vent, restaure des tuyaux de façade et change des languettes aux jeux d'anches. En 1865, nouvelle restauration par Thiébaut (1835 - 1882) : les claviers des Frères Claude sont remplacés, les accouplements à tiroir sont remplacés par des accouplements à masselottes, un Récit expressif de 10 jeux (Do2) remplace l'ancien Récit :


Salicional 8' - Gambe 8' - Voix céleste 8' - Flûte octaviante 4' - Dulciana 4' - Trompette 8' - Hautbois 8' - Voix humaine 8' - Euphone 8' - Clarinette 4'.



Plaque de console de Thiébaut Maucourt


Plus tard,
supprimera la Cymbale, la Tierce et la Voix humaine du Grand Orgue au profit d'un Salicional 8', d'une Flûte 4' et d'une Gambe 4'. La Tierce du Positif est supprimée, ainsi que les deux clarinettes en chamade. La Flûte octaviante du Récit cédera sa place à un Octavin 2'.


3. – LA RECONSTRUCTION DE JEAN-BAPTISTE PUGET (1903 - 1904)


Jean-Baptiste PUGET (1849 - 1940)


N.B. Jean-Baptiste Puget ne se fit jamais appeler par son prénom. Ses frères l'appelaient Théodore, son père (Théodore Puget) le désigne dans son testament comme " Jean-Baptiste dit Théodore " et lui même signait tous ses courriers Théodore Puget.

A l'orée du 20ème siècle, l'orgue est déjà et à nouveau dans un état de grand délabrement ! Les dernières réparations effectuées par des facteurs de talent (Clavel, Maucourt,
), n'ont été que des béquilles, faute de moyens, sur un instrument ruiné par la malhonnêteté des Frères Claude. L'orgue se présentait alors ainsi :


I - Positif (50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 8' - Bourdon 8' - Flûte allemande 8' - Prestant 4' - Petite flûte 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Plein jeu - Cornet 5 rangs - Trompette 8' -    Cromorne 8' - Clairon 4'.

II - Grand Orgue
(50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Montre 16' - Bourdon 16' - Montre 8' - Bourdon 8' - Flûte traversière 8' - Flûte 8' (Sol2) - Salicional 8' (Do2) - Prestant 4' - Flûte 4' - Gambe 4' - Nazard 2' 2/3 - Doublette 2' - Fourniture 5 rangs - Grand cornet 5 rangs - Bombarde 16' - 1ère Trompette 8' - 2ème Trompette 8' - Clairon 4'.

III - Bombarde (50 touches, Do1-Ré5, sans 1er do#) :
Bombarde 16' - 1ère Trompette 8' - 2ème Trompette 8' - Hautbois 8' (Fa2) - Clairon 4' - Cornet 5 rangs.

IV - Récit (39 touches, Do2-Ré5)
Dulciana 8' - Gambe 8' - Voix céleste 8' - Petite flûte 4' - Octavin 2' - Trompette 8' - Hautbois 8' - Clarinette 8' - Euphone 8' - Voix humaine 8'.

Pédale (24 touches, Do1-Do3, sans 1er do#) :
Flûte 16' - Flûte 8' - Flûte 4' - Bombarde 16' - Trompette 8' - Clairon 4'.


Dès 1902, Jean-Baptiste intervient auprès de l'abbé Vilote, curé archiprêtre de la cathédrale, en des termes qui ne prêtent guère à confusion :

"Je viens faire appel à votre vigilante attention pour vous signaler l'état lamentable du Grand orgue de la Métropole. Déjà, en 1880, quand Mgr Ramadié voulut bien nous charger de l'accord des orgues de la Cathédrale, le facteur qui en était chargé auparavant déclarait que l'orgue ne pouvait pas aller plus loin sans réparations. Or, après vingt ans, le grand orgue ne s'est pas amélioré, tant s'en faut, et les gros tuyaux de la montre, rongés par la poussière ou mal soutenus s'affaissent sur leurs pieds et risquent de tomber... à mon avis quelques gros tuyaux ne tiendront pas longtemps, le métal est mou, et quand un pli commence à se former, il s'accentue vite et le tuyau étant raccourci par ce fait, il ne tient plus aux sculptures du haut, et alors il tombe. Il y a des tuyaux qui ne tiennent que par quelques centimètres. Il y a quelques années, nous avons mis hâtivement quelques supports aux plus gros tuyaux qui étaient absolument sur le point de tomber ; nous fûmes blâmés pour cela par Mgr Hardy. Donc à l'avenir nous ne ferons plus rien pour empêcher un tuyau de tomber ; mais cependant je crois de mon devoir de vous signaler l'état inquiétant des tuyaux de la Montre, et aussi de tout l'orgue...

A Ste Cécile, il faudrait que vous fassiez
au moins la première partie du devis que j'ai eu l'honneur de soumettre à Mgr Fonteneau en octobre 1896 ; elle comporte la réparation et la consolidation des tuyaux de Montre, le nettoyage et la mise en état de tout l'intérieur, ce qu'en facture d'orgues on appelle – un relevage – le montant de ces travaux était compté à 7565 fs chiffre que je maintiens, malgré qu'en six ans l'état de l'orgue se soit aggravé.

La seconde partie du devis avait trait à la restauration complète et artistique de l'orgue ; elle s'élevait à 39465 fs...
"


Puget conclut sa lettre en des termes qui ne laissent aucun doute sur ses intentions :

"Je tiendrai beaucoup à être chargé du travail qui s'impose à Ste Cécile et ferai toutes les concessions possibles pour y arriver..." !!!

Dans une seconde lettre, contemporaine de celle citée ci-dessus, mais adressée à Sa Grandeur Mgr Mignot, Archevêque d'Albi, il précise :

"...Depuis 20 ans, j'ai fait ce que j'ai pu mais je ne peux empêcher la poussière d'envahir tout l'orgue et d'obstruer les bouches des tuyaux, au point qu'un très grand nombre ne parlent plus, ou sont très affaiblis. De plus de nombreuses pièces de bois sont vermoulues, cassent sous les poids des parties qu'elles supportent ou bien encore elles laissent passer le vent par les piqûres de vers... Malgré que je sois intéressé à obtenir une réparation de l'orgue de Ste Cécile, et que par là mes dires puissent paraître suspects, je n'hésite pas à insister auprès de Votre Grandeur, persuadé que vingt ans de bons et loyaux services me mettent à l'abri de toute accusation de vénalité."


Signature sociale de Jean-Baptiste PUGET


Dans une nouvelle lettre (sans date) adressée à l'Archevêque, Jean-Baptiste Puget précise l'aggravation de l'état de l'instrument :

"... Il y a quelques temps, un tuyau d'étain de la montre tomba dans le chœur, et aurait pu occasionner de graves accidents ; or tous les tuyaux sont dans le même état et risquent de subir le même sort... Il en est de même du couronnement des tourelles... il y a là de grands anges, qui ne tiennent que par des clous plantés aux pieds." et propose une solution temporaire : "Si les ressources de la Fabrique sont insuffisantes, ou si l'État ne donne aucun subside pour la réparation des tuyaux de la montre et la consolidation des boiseries, le plus sage, le plus prudent, sera d'enlever les tuyaux qui sont les plus douteux comme solidité. la vue de l'orgue sera ainsi très disgracieuse, peut-être pourrait elle susciter une âme généreuse, qui la ferait remettre dans toute sa splendeur primitive..."

La tâche à accomplir est d'importance :

"...Les travaux dureraient environ 4 mois, et occuperaient 215 journées de 11 heures d'ouvriers facteurs d'orgues, spécialistes mécaniciens, soudeurs, harmonistes et 250 journées d'ouvriers du pays, menuisiers, serruriers, souffleur, teneur de clavier..."

Pour appuyer sa requête, Puget n'hésitera pas, dans un courrier du 6 décembre 1902, à rafraîchir la mémoire du curé de la cathédrale :

"...Enfin j'espère, Monsieur l'Archiprêtre, qu'on me tiendra compte à la Métropole de ma situation, on n'oubliera pas que Monseigneur Fonteneau ne m'a jamais payé les 2000 fs de réparation [et] de remontage de l'orgue du Jubé à St-Joseph ; qu'on ne m'a donné que 150 fs sur les 300 fs demandés pour le démontage, nettoyage, transfert et remontage de l'orgue de St Clair ; et que je n'ai jamais reçu la moindre indemnité pour les travaux commencés et pour les nombreux voyages faits pour l'orgue de chœur commandé par Mgneur Fonteneau..." !!!


Intérieur de la cathédrale, avant le transfert de l'orgue du jubé dans l'église

                                                        Saint-Joseph d'Albi en 1886


Dans un devis en trois parties daté du 30 mars 1903, Puget propose tout d'abord de restaurer, consolider et nettoyer les tuyaux des deux façades, d'opérer un nettoyage général de l'instrument tant dans sa partie mécanique que sonore, d'obturer toutes les fuites dans le circuit du vent, de restaurer tous les tuyaux, de changer toutes les rasettes de tous les jeux d'anches, et de ré-harmoniser et accorder l'ensemble de l'orgue. L'ensemble de ces travaux est estimé à 5.075 francs.


Devis du 30 mars 1903


Dans la deuxième partie du devis, Puget propose de reconstruire à neuf un bloc de 4 claviers de 56 notes plaqués de bel ivoire, un pédalier en chêne avec les dièses plaqués de palissandre. La place sera réservée pour installer 18 pédales de combinaisons. Les claviers, pédalier et pédales de combinaisons seront placés conformément aux mesures et indications du Congrès de Malines. Les claviers seront renfermés dans une menuiserie en forme de bureau fermant à clef.

Les tirants de registres seront réordonnés par clavier, toutes les porcelaines changées avec inscriptions en noir pour les jeux de fonds et en rouge pour les anches. A la pédale réfection du mécanisme du pédalier et installation de doubles soupapes aux sommiers pour mieux alimenter les basses. Il sera établi dans l’intérieur de l’orgue, sous les sommiers deux grands réservoirs d’air de 3 m² de superficie chacun. Remplacement de tous les supports de la montre et de tous les postages alimentant celle-ci.

Il sera établi une machine Barker, afin de vaincre la résistance des soupapes et de permettre les accouplements des claviers, chose impossible aujourd’hui ; les accouplements seront portés à trois : Récit – Bombarde et Positif, sur le clavier à la machine ; une quatrième pédale appellera le Grand Orgue ; soit quatre pédales avec leurs mouvement. Il sera également établi trois pédales qui permettront de faire parler les basses du Grand Orgue, Bombarde et Positif avec le pédalier,
de manière que celui-ci ait toute la puissance de l’orgue. Afin de faciliter le jeu de l’organiste, il sera établi trois pédales permettant l’appel des jeux à anches au Grand Orgue, à la Bombarde et à la Pédale. Aux sommiers de la pédale, on préparera la place pour 5 notes à ajouter, afin de les porter à 30 notes.

Il sera ajouté aux sommiers de Grand Orgue, Bombarde et de Positif 6 notes, afin qu’ils aient toute l’étendue des claviers. Aux sommiers de Grand Orgue, les 5 basses qui sont mêlées aux dessus seront déplacées et postées avec les autres basses, il y aura ainsi une grande place libre au milieu de l’orgue, permettant d’y loger plus tard un beau récit, chose impossible aujourd’hui. Mise en place de tous les premiers do# manquants.

Il sera établi un sommier neuf ou une double rangée de soupapes aux sommiers de Bombarde, afin de supporter 3 nouveaux jeux qu’on ajouterait à ce clavier, à savoir : un Bourdon 16' de grosse taille, une Flûte harmonique 8' de grosse taille, un Principal ou un Violoncelle 8'. Il sera construit une grande boite en bois épais destinée à renfermer tous les jeux du clavier de Bombarde. L’expression de ces grands jeux sera très utile, car le récit actuel est très faible, presque nul, tandis que l’expression du clavier de Bombarde donnera un forté très sensible et sera l’un des grands effets de l’orgue.

Comme à la Bombarde, afin de bien alimenter les 18 jeux du Grand Orgue, il sera établi une deuxième rangée de soupapes, destinées à alimenter spécialement les jeux d’anches ; ces soupapes seront enfermées dans une deuxième laye, ce qui permettra d’obtenir un appel des jeux d’anches, impossible sans cela. On préparera sur ces mêmes sommiers la place de 3 jeux de 8 pieds, à placer plus tard. Les jeux de Flûte de 8' et Salicional 8' seront complétés dans leur basse, inexistante actuellement.

On écartera les deux sommiers du Positif ce qui donnera une large place, et éloignera le son de l’organiste car il a maintenant les tuyaux trop près. On fera aux sommiers le travail nécessaire, place, trous aux chapes, registres etc. pour mettre plus tard deux jeux de 8 pieds.

Enfin l'orgue sera accordé au ton normal de 880 vibrations. L'ensemble de ces travaux se monte à 10.655 francs.

Dans la troisième partie du devis, Jean-Baptiste Puget propose
un beau Récit de 12 jeux de 56 notes, renfermé dans une grande boite expressive ; il y aurait deux jeux nouveaux pour compléter la série des jeux expressifs nécessaires à un grand orgue comme celui de Ste Cécile. Les jeux actuels seraient modifiés pour être de taille plus en harmonie avec le reste de l’orgue, ils seraient tous portés à 56 notes. Le Récit ainsi complété sera réuni au clavier de Bombarde par deux accouplements : 1° Récit sur Bombarde ; 2° Récit sur Bombarde à l’octave grave. Mais ces accouplements rendraient le clavier de Bombarde un peu dur, il faudrait lui mettre une machine Barker spéciale. Il sera mis une pédale d’appel des jeux d’anches du Récit ; une pédale de trémolo pour la Bombarde, et un nouveau trémolo pour le Récit.

Il sera placé au sommier de Grand Orgue un jeu nouveau de Diapason de 8 pieds de 56 notes ; au Positif : un jeu de Kéraulophone de 8 pieds et un Unda Maris de 8 pieds ; à la Pédale, les six jeux seront complétés de 5 [tuyaux] chacun, afin d’arriver à 30.

La soufflerie actuelle étant insuffisante pour alimenter convenablement tous ces jeux et les jeux de la pédale à venir : il serait construit un grand soufflet, muni de six pompes, mues par des pédales suspendues. Ce soufflet aurait 7 mètres [sic] de superficie ; il serait tout doublé de parchemin à l’intérieur et vernis à l’extérieur. La soufflerie actuelle servirait de réservoirs régulateurs.

Enfin, pour donner à l’ensemble de l’orgue une base puissante mais non criarde, il est proposé de remanier toute la pédale. Les sommiers supportant les jeux actuels étant très petits, ils ne supporteraient pas une addition de jeux ; ils seront complétés par de nouveaux sommiers supportant une Flûte ouverte de 32' dédoublée en 16', 8' et 4', un Bourdon 16' de grosse taille, dédoublé en 8', ainsi qu'un Violoncelle 8'. Ces trois derniers seraient installés à la place des anciennes flûtes 16', 8', 4' supprimées. Les nouvelles flûtes prendraient place sur un sommier spécial en deux parties, placé directement sur le sol de la tribune. Un nouveau réservoir de 2 m² serait ajouté à proximité de chacun des sommiers neufs pour alimenter les 4 flûtes.

Enfin, un Bourdon 16' et un appel d'anche serait ajouté au Positif.

L'ensemble des travaux de cette troisième partie est estimée à 13.320 francs, soit un montant de 29.050 francs pour la totalité du devis. Puget accordera un escompte de 655 francs, soit un montant global de 28.395 francs.

Ce devis, malgré l'importance des travaux proposés, laissa une impression de grand replâtrage, et fut refusé en tant que tel.

Une nouvelle convention fut signée à Albi le 17 juin 1903.



Convention du 17 mars 1903 - page 3


Entre les soussignés : Mr Puget, Facteur d’Orgues à Toulouse et MM. Crayol, Supérieur de la Maîtrise d’Albi, Chabbert, Aumônier de l’Hôpital général d’Albi, chargés tous deux par Monseigneur l’Archevêque d’Albi de pourvoir au complément de la restauration des grandes orgues de la Cathédrale d’Albi, il a été convenu et arrêté ce qui suit :

 

1° MM. Crayol et Chabbert approuvent l’exécution de la troisième partie du devis rectifié présentée à eux par Mr Puget en date du 28 mai 1903 et signée par lui ; mais cette approbation comporte les réserves et conditions suivantes acceptées par Mr  Puget.

2° La réparation du Récit s’élevant à la somme de quatre mille cinq cents francs est ajournée et la dite somme ne sera pas due. 

3° MM. Crayol et Chabbert s’engagent à verser ce jour 17 Juin 1903, à Mr Puget la somme de dix mille francs constituant un payement par anticipation des travaux de la dite 3e partie du devis.

4° Lesquels travaux, Mr Puget de son côté s’engage à effectuer pour la somme de onze mille cinq cents francs dont mille cinq cents francs resteront dûs et seront payés plus tard. Et à la totalité de ces travaux Mr Puget s’engage à ajouter l’exécution des travaux supplémentaires qui suivent. Lesquels travaux ensemble seront exécutés sans éventualité possible de majoration comme il a été convenu pour les parties précédentes du devis entre Mr Puget et Monseigneur l’Archevêque.

5° Les claviers manuels seront disposés dans l’ordre suivant : 1° Récit, 2° Positif, 3° Bombarde, 4° Grand Orgue, et le Positif sera accouplé sur la Bombarde comme il est prévu pour le Récit.

6° Toutes les transmissions mécaniques de l’Orgue pour l’ouverture des jeux anciens seront substituées des transmissions pneumatiques comme pour les jeux nouveaux, et les registres réduits aux plus petites dimensions possibles.

7° Il sera ajouté cinq nouveaux registres pour permettre la préparation des jeux de chaque clavier et des pédales et une pédale de combinaison tirant ces cinq registres d’un seul coup.

Mr Puget s’engage à faire tous ses efforts pour livrer l’orgue le 22 novembre 1903 pour la Fête de Sainte-Cécile.

9° Enfin si contrairement à toutes prévisions et probabilités une somme de mille francs promise par un donateur à Mr  Chabbert n’était pas versée et s’il lui avait été impossible de la parfaire différemment, Mr Puget consentirait à retirer une part de fournitures correspondant à la dite somme.

10° Il sera dû à Mr Puget une somme supplémentaire de cent francs à ajouter aux mille cinq cents francs qui restent dûs [pour l’appel du Positif sur Bombarde].

Le 24 octobre 1903, une nouvelle convention vient amender la précédente :

Entre les soussignés : Mr Puget, Facteur d’Orgues à Toulouse et MM. Crayol et Chabbert chargés par Monseigneur l’Archevêque d’Albi de promouvoir la restauration des grandes orgues Sainte-Cécile d’Albi, il a été convenu ce qui suit portant modification aux devis antérieurement approuvés, mais sans augmentation aucune du prix final qui demeure bien toujours fixé à trente mille francs nets, sans éventualité possible de majoration comme il a toujours été convenu précédemment.

MM. Crayol et Chabbert accordent : 1° la suppression de cinq pédales d’appel des Fonds et des deux pédales générales d’appel des Anches et des Fonds. – 2° le Dédoublement des Anches des Pédales. – 3° la suppression de l’accouplement du clavier d’Écho sur le Récit. – 4° les abbréviations [sic] apportées aux boites expressives, à la soufflerie, à la registration autorisée sur planchette et à touches ; 6° le payement immédiat et par avance de seize cents francs (1.600 f) restants pour solder les onze mille six cents francs, prix total de la troisième partie du devis, dont dix mille ont été payés.

De son côté Mr Puget réalisera à titre de compensation, retenue juste par les deux parties, les améliorations suivantes : 1° le sommier d’Écho sera enlevé de l’avant corps du buffet de l’orgue et placé dans le grand buffet. 2° le Récit aura un Cor Anglais de 16 p. à la place de l’Euphone 16 p. prévu qui passera avec le Cromorne (tous deux jeux de 8 p.) à l’Écho. Le Bourdon de 16 sera Quintaton. La Trompette permutera avec la Trompette harmonique du Positif-Bombarde. 3° Le Positif-Bombarde aura un Baryphone de 8 à la place de la 2° Trompette et une Clarinette neuve de 8 p. à anches à larme, à la place du Basson prévu. – Le Clairon 4 p sera harmonique. Les anches de ce clavier parleront à la pression de la machine pneumatique. 4° Des languettes et anches neuves seront substituées aux vieilles à tous les jeux d’anche de l’orgue. 5° Il sera établi une pédale de Crescendo et Decrescendo agissant directement sur tous les jeux de l’orgue. 6° Enfin, nonobstant la non mention ci dessus de quelques autres détails, l’Orgue sera livré conforme au tableau suivant (ci-contre) :



Convention du 24 octobre 1903 - page 3


Albi - Tableau des jeux
(dans la pratique, les deux panneaux de registres seront inversés lors de la réalisation, avec les jeux de fonds à droite des claviers et les jeux de combinaisons à gauche. Certaines appellations de jeux changeront également. Par exemple, la Violina 4' devient Salicet 4', le Violon-Basse 16' devient Contrebasse 16', etc.)

C'est cette dernière convention, et la générosité de multiples donateurs, qui vont donner à l'orgue son visage définitif et la composition suivante :


I - Grand Orgue (56 touches, Do1-Sol5) pression 110 mm :
Montre 16' - Principal 16' - Bourdon 16' - Montre 8' - Diapason 8' - Bourdon 8' - Flûte 8' - Salicional 8' Gambe 8' - Prestant 4' - Gemshorn 4' - Octave 4' - Quinte 2' 2/3 - Doublette 2' - Fourniture 3 à 6 rangs - Grand cornet 5 rangs - Bombarde 16' - 1ère Trompette 8' - 2ème Trompette 8' - Clairon 4'.

II - Positif expressif (56 touches, Do1-Sol5) pression 130 mm :
Sous-Basse 16' - Principal 8' - Flûte harmonique 8' - Violon 8' - Unda maris 8' - Salicet 4' - Nazard 2' 2/3 - Flageolet 2' - Tierce 1' 3/5 - Plein jeu 3 à 5 rangs - Cornet 5 rangs - Tuba magna 16' - Trompette 8' - Baryphone 8' - Clarinette 8' - Clairon 4'.

III - Récit expressif (56 touches, Do1-Sol5) pression 120 mm :
Quintaton 16' - Flûte d'orchestre 8' - Cor de nuit 8' - Viole de gambe 8' - Voix céleste 8' - Flûte octaviante 4' - Dulciane 4' - Octavin 2' - Carillon 3 rangs - Cor anglais 16' - Trompette harmonique 8' - Hautbois-Basson 8' - Voix humaine 8' - Clarinette 4'.

IV - Écho expressif (56 touches, Do1-Sol5) pression 90 mm :
* Clarabella 8' - Bourdon 8' - * Gemshorn 8' - Kéraulophone 8' - Suavial 8' - Flûte douce 4' - * Gambe 4' - Piffaro 4' (1 à 2 rangs) (ondulant) - Fifre 2' - Trompette 8' - Euphone 8' - Cromorne 8'. (* jeux placés hors boite)

Pédale (30 touches, Do1-Fa3) pression : Fonds 100 mm, Anches 120 mm :
Quintaton 32' - Flûte 16' - Contrebasse 16' - Sous-Basse 16' - Flûte 8' - Violoncelle 8' - Basse 8' - Octave 4' - Contre-Bombarde 32' - Bombarde 16' - Trompette 8' - Clairon 4'.

Combinaisons
A la main : Jeux préparés Pédale - Grand Orgue - Positif - Récit - Écho
Aux pieds : Tirasses GO - Pos - Réc — Octaves graves GO - Pos - Réc — Anches Péd - GO - Pos - Réc - Écho — Tremblants Réc - Écho — Expressions Pos - Réc - Écho — Crescendo — Appel des jeux préparés — Appel GO - Pos/GO - Réc/GO - Écho/GO - Réc/Pos - Écho/Pos

Albi - Ste Cécile - 1904 : Disposition des jeux à la console


On ne peut qu'être admiratif devant une telle composition : on notera tout d'abord que sur les 74 jeux, 42 sont en boite expressive ! Il est le seul instrument en France à posséder autant de jeux expressifs, avec toutefois l'orgue construit en 1898 par Cavaillé-Coll pour le baron Albert de l'Espée dans son château d'Ilbarritz (3 boîtes expressives également, mais "seulement" 33 jeux à l'intérieur de celles-ci).

La richesse de l'instrument est peu commune : 74 jeux dont 2 jeux de 32', 12 de 16', 34 de 8', 12 de 4', 2 jeux de mutation, 2 cornets et 1 carillon, 2 plein-jeux, 37 jeux s'intégrant au fond d'orgue 32'-16'-8'-4', 21 jeux d'anches. On remarquera la variété des timbres en 16' (Principal en bois, Montre, Bourdons, Quintaton, Bombardes, Tuba Magna, Cor Anglais), en 8' (Montre, Diapason, Flûte, Flûte harmonique, Flûte d'orchestre, Bourdons, Cor de nuit, Gambes, Salicional, Violon, Clarabella, Gemshorn, Kéraulophone, Unda Maris, Voix céleste, Suavial, Trompettes, Clarinette, Cromorne, Baryphone, Hautbois-Basson, Voix humaine, Euphone), en 4' (Prestant, Gemshorn, Octave, Salicet, Flûte octaviante, Dulciana, Flûte douce, Gambe, Piffaro 1 à 2 rangs, Clairons, Clarinette), en 2' (Doublette, Flageolet, Octavin, Fifre)... On notera encore la présence de 4 ondulants (Unda Maris au Positif, Voix céleste au Récit, Suavial et Piffaro à l'Écho) !


Programme du concert d'inauguration - page 3


Dès la fin des travaux, l'abbé Crayol, organiste titulaire, exulte et exprime sa joie et sa satisfaction dans la notice suivante :

La maison Théodore Puget père et fils de Toulouse, chargée de ce très important travail, s’est parfaitement tirée de cette lourde besogne augmentée par la gène provenant du peu de profondeur du buffet, 1m90 seulement, encore diminuée par les grands contreforts du clocher. Tous les espaces sont parfaitement aménagés, l’on peut arriver partout pour l’entretien des nombreux mécanismes ou l’accord des tuyaux ; il a fallu construire de nombreux sommiers supplémentaires pour loger et alimenter les gros tuyaux en dehors de leurs sommiers respectifs.

Le système de transmission tubulaire appliqué en partie a rendu assez facile cette diffusion de sommiers.

Cinq machines ou appareils pneumatiques servent à communiquer le mouvement des claviers et pédalier aux divers sommiers et accouplements, et permettent que la résistance des claviers demeure toujours la même. Ceux-ci sont parfaitement installés en un grand espace libre pour l’organiste.

Les registres sont placés diagonalement par rapport aux claviers, groupés de la manière la plus normale, avec des indications en caractères gras très visibles. Tous les jeux de fonds d’un côté, tous les jeux d’anches de l’autre.

 Les pédales de combinaison, malgré leur nombre, sont très accessibles et très douces à manœuvrer ; la pédale de crescendo rendra de grands services à l’organiste, lui permettant facilement d’appeler tous les jeux de l’orgue progressivement, ou tout d’un coup, suivant la vitesse imprimée à la pédale.


Albi – Console – Cadran indicateur du Crescendo

 

Trois immenses soufflets et quatre paires de pompes ont été adaptées à la soufflerie, qui devient ainsi très suffisante.

Nous qui avons pu voir et suivre de près tous les travaux, contrôler les fournitures, pouvons affirmer que tout est traité d’une manière particulièrement soignée, et qui fait le plus grand honneur à MM. Théodore Puget père et fils.

Comme sonorité générale l’instrument est très réussi, mais certains jeux méritent une mention spéciale : les jeux de 8 pieds du grand orgue ; la tuba magna, trompette, clarinette, flûte du Positif ; la Trompette, Hautbois, Voix humaine, Cor de Nuit du Récit ; le Suavial, le Piffaro de l’Écho, enfin les majestueux jeux de 32 pieds, Contre basse, Violoncelle de la Pédale. etc.

Mais de ceci, les fidèles pourront en juger par eux-mêmes, le jour de la fête de Ste Cécile ; l’orgue sera tenu par notre compatriote M. Adolphe Marty, et nul n’était mieux autorisé que lui pour faire valoir un pareil instrument ; élève de Franck, 1er prix d’orgue du Conservatoire de Paris, professeur d’orgue et de composition à l’Institution nationale des jeunes aveugles à Paris, organiste du grand orgue de St François-Xavier, Marty avec son talent supérieur d’exécutant et d’improvisateur nous fera connaître et entendre l’orgue de Ste Cécile sous toutes ses faces, et certainement, dans les improvisations du Magnificat, tous les jeux de détail seront passés en revue. 

Une commission de dix membres a été nommée pour vérifier, expertiser et recevoir l’instrument, elle se compose de MM.

Toulouse-Lautrec — Fabre
Tourettes — Chaynes
Ponsan — Rouffiac
Berny — Lapeyre

Marty — Crayol

Dans cette année, la fête patronale de Ste Cécile nous promet un intérêt particulier, car à côté de la solennité religieuse rehaussée par la présence de MM les Evêques de Poitiers et Perpignan, sous la présidence de Monseigneur l’Archevêque, il y aura aussi un intérêt artistique double, nous y entendrons deux maîtres de nos églises M. le chanoine Valentin prédicateur du panégyrique de la Sainte et M. Adolphe Marty, inaugurateur du grand orgue.

Crayol, organiste du grand orgue de Ste Cécile
Supérieur de la maîtrise de la Métropole


Cathédrale d'Albi - 1904 - Console

On voit de suite la différence entre l’ancienne composition de l’orgue et la nouvelle ; celle-ci est absolument parfaite et peut rivaliser avec les meilleurs instruments connus. Nous ne croyons pas qu’en France il y en ait d’autres possédant autant d’avantages et de combinaisons, deux ou trois ont plus de jeux mais aucun ne possède à la fois la façade imposante, le nombre de jeux, les claviers expressifs, les combinaisons, l’agencement ingénieux des registres de l’orgue que nous sommes heureux de posséder à Ste Cécile.

Le rapport de réception de l'instrument abonde en ce sens, et les membres de la commission ne tarissent pas d'éloges sur le nouvel instrument :

"... Actuellement, le grand orgue de Sainte-Cécile est non seulement le chef d'œuvre de la maison Théodore Puget père et fils de Toulouse, mais il représente aussi un orgue construit avec tous les perfectionnements modernes de la facture d'orgues... Si Notre-Dame et Saint-Sulpice de Paris peuvent montrer des orgues plus considérables comme nombre de jeux, ces instruments n'ont pas tous les perfectionnements de mécanisme, toutes les ressources orchestrales de l'orgue de Sainte-Cécile... L'orgue de Sainte-Cécile a donc reconquis après Notre-Dame de Paris, la première place parmi les orgues des cathédrales françaises, comme aspect monumental, perfectionnement du mécanisme, nombre de jeux de détail... La Commission déclare donc que le facteur s'est consciencieusement et amplement acquitté de sa tâche artistique, que non seulement il a rempli mais dépassé les conditions du cahier des charges, et estime qu'il y a lieu de recevoir avec éloges, l'orgue de la Métropole Sainte-Cécile d'Albi..."

Une plaque de cuivre gravée fut fixée sur le buffet de l'orgue de la Métropole afin de perpétuer le souvenir de cette extraordinaire reconstruction :

 
HÆC ORGANA
ANNO DNI MDCXXXIV
IVSSV PETRI DE LA CROIX DE CASTRIES ARCHIEP.
CHRISTOPHORI MOVCHEREL ARTE
PRIUS ÆDIFICATA
NUNC
RESTAVRANDA ET AMPLIANDA
ILL. AC REV. DD. EVDOXII IRENÆI EDVARDI MIGNOT ARCH. ALBIEN.
MVNIFICENTIA
NECNON PRÆCELLENTI MVNERE
PLÆ DNÆ ÆMILLÆ D'ANDOQUE DE SERIEGE
NOBILISQVE EIVS SPONSI CAROLI COMITIS DE TOVLOVSE-LAVTREC
SED ET CETERORVM DONIS MINORIS CENSVS
CURA DEMVM ET INDVSTRIA
DD. J. CHABBERT ET J. CRAYOL PRESBYTERORVM
ARTIFICI EXIMIO TOLOSÆ DEGENTI
THEODORO PVGET
TRADITA FVERE AC COMMENDATA
ANNO DNI MCMIII
QVI
PRIMA DIE IVNII INCEPTO OPERE
VETEREM ET IAM COLLABENTEM INTERIORVM VISCERVM STRVCTVRAM EVERTIT
NOVISSIMA ARTIS HVIVS INCREMENTA ADHIBVIT
ET SUPERADDITIS XXII PARTIBVS SONIFERIS SVPRA NVM. LII VETVSTORIVM
SERVATO TAMEN VENUSTO ET MIRABILI LIGNEO APPARATV
SPLENDENTIA AC VOTIS VNIVERSIS CONSONA
NEC PLVRIBVS IMPARIA
DIE XX NOV. SOLEMNI PATRONÆ ANTICIPATO FESTO
ANNO DNI MCMIV
CONFLATA RESTITVIT
INSTRVMENTA VERO RMVS ANTISTES CVM BENEDIXERIT
ADOLPHVS MARTY
PARISINUS MAGISTER ALBIÆ NATVS MVSICÆ PERITISSIMVS
IN LAVDEM SANCTÆ CÆCILLÆ VIRGINIS
AEDEM DIE
PRIMA VICE PVLSAVIT


" Cet orgue, construit en l'an du Seigneur 1734, sur l'ordre de Pierre de la Croix de Casties, archevêque, par Christophe Moucherel, fut de nos jours restauré grâce à la munificence de l'illustrissime et rêvérendissime Eudoxe-Irénée-Edouard Mignot, archevêque d'Albi, à la générosité exceptionnelle de pieuse dame Émilie d'Andoque de Sériège et de son noble époux Charles, comte de Toulouse-Lautrec, et aux dons moins importants de plusieurs autres personnes, sous la surveillance et l'habile direction de MM. Joseph Chabbert et Jean Crayol, prêtres. Il fut confié pour cela en l'an de grâce 1903 à un excellent facteur toulousain, Théodore Puget, qui, ayant commencé son travail le premier jour de juin, enleva tout le vieux mécanisme intérieur qui tombait en ruine, le remplaça par les procédés les plus récents de son art, ajouta vingt-deux jeux nouveaux aux cinquante-deux primitifs tout en conservant l'ancien et magnifique buffet, et livra enfin cette œuvre splendide, conforme aux vœux de tous et égale aux plus belles, entièrement achevée le 20 novembre de l'an du Seigneur 1904, en la solennité anticipée de la fête patronale de l'Église métropolitaine. Ce même jour, l'instrument fut béni par le révérendissime Archevêque et aussitôt touché par Adolphe Marty, célèbre maître parisien, né à Albi, il chanta pour la première fois les louanges de la bienheureuse vierge Cécile."


De leur côté, les Puget ne mégotèrent devant rien pour faire connaître leur opus magnum. Jean-Baptiste, l'orgue aussitôt terminé, fit imprimer des cartons d'invitation recto-verso pour son inauguration.



Invitation Théodore Puget Père et Fils



4. – L'INAUGURATION – Dimanche 20 novembre 1904


L'orgue fut inauguré à l'occasion des fêtes de Sainte-Cécile, le dimanche 20 novembre 1904.



Programme du concert d'inauguration du 20 novembre 1904


Pour inaugurer l'instrument, on fit appel à un enfant du pays, Adolphe MARTY.
Né en 1865 à Albi, aveugle à l'âge de 2 ans et demi, il entre à l'Institut National des Jeunes Aveugles en 1874, où il fut l'élève de Louis Lebel, auquel il devait succéder en 1888. Entre temps, de 1884 à 1886, il suivit les cours de César Franck au sein de la classe d'orgue du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il obtenait un premier prix d'orgue en 1886. Il fut organiste de l'église Saint-François-Xavier à Paris, poste qu'il occupa de 1891 à 1941. Il mourut l'année suivante, en 1942. Il fut très lié aux Puget dont il inaugura nombre d'instruments.


Adolphe MARTY

Il composa pour l'occasion une Sonate héroïque de Sainte-Cécile, qui obéissait au programme suivant :

A. Extase. — Cécile, jeune patricienne, a été baptisée dans la foi du Christ à qui elle veut appartenir sans partage. Nous la voyons en extase soupirant après le ciel. Un ange envoyé de Dieu s'entretient avec elle et lui promet de soutenir sa faiblesse et de la protéger contre l'esprit du mal.

B. Chant d'Hyménée. — Ses parents lui ont choisi un époux selon leur goût et l'on fiancée au jeune païen Valérien. Nous sommes au festin des noces où des joueurs de flûte et autres instruments exécutent un chant langoureux en mode myxolydien. Cécile est là, mais elle est aborbée toute entière par une vision céleste. Son ange protecteur veille sur elle.

C. Entretien et conversion. — Les jeunes époux sont dans la chambre nuptiale : Valérien, fougueux, exprime sa passion, mais Cécile calme et sereine, arrête ses transports et lui déclare qu'elle est chrétienne et qu'elle a fait vœu de rester vierge. Valentin proteste d'abord, mais peu à peu, touché par la grâce divine, il se convertit et, avec sa compagne, il remercie le Rédempteur.

D. Triomphe et apothéose. — Sainte Cécile a reçu la couronne du martyre et l'univers entier dans tous les siècles célèbre son triomphe. Elle jouit maintenant de la béatitude éternelle après laquelle elle soupirait dans les extases de la vie d'ici–bas. 

Tout un programme ! Celui-ci fut l'objet de commentaires dithyrambiques dans la presse locale et nationale :


Journal du Tarn, mercredi 23 novembre 1904

Solennité de sainte Cécile et inauguration du grand orgue de la cathédrale. Une heureuse coïncidence a voulu cette année, que la patronne de notre diocèse et de notre métropole, en même temps que celle des musiciens, fût plus dignement fêtée. On inaugurait ce jour là les grandes orgues, primitivement construites en 1736 par Christophe Mouscherel [sic], mais entièrement remaniées et agrandies par la maison Puget

père et fils, de Toulouse.

Le programme s’annonçait des plus beaux : chants variés avec accompagnement d’orgue, morceaux de genre que devait exécuter un artiste, un compatriote, dont le nom seul dit assez, M. Adolphe Marty, professeur à l’Institut des jeunes aveugles et organiste à Saint-François-Xavier à Paris.

Aussi, bien avant l’heure, la vaste nef était déjà impuissante à contenir la foule.

La marche de F. de la Tombelle, exécutée par M. l’abbé Crayol, organiste de la cathédrale, est lancée, sonore, soulignée à la pédale par la rondeur de la nouvelle contre-bombarde de 32 pieds. Nos oreilles longtemps sevrées s’épanouissent à des accents inconnus. Autrefois l’orgue avait bien ses 52 jeux, mais combien de tuyaux fermés par la poussière, combien affaissés sur eux-mêmes, muets ! Aujourd’hui c’est un chant de résurrection, de renouveau, car c’est une véritable création que la refonte de cet orgue. Les mânes de Christophe Mouscherel doivent frissonner. Il ne connaissait pas, lui, le système tubulaire, ni la pédale d’appel de 4,595 tuyaux, ni les jeux préparés, ni le système des octaves, ni cette délicatesse au doigté. Aussi bien, on sentait au dessus de l’assemblée une exclamation muette planer à l’adresse de cette merveille.

Cependant le cortège paré de chapes ruisselantes d’or s’avance et se déploie dans le chœur précédant trois évêques, dont l’un, Mgr Pelgé, évêque de Poitiers, pontifie.

Les chœurs de la « Schola » et de la Maîtrise, soutenus par un orchestre d’artistes et d’amateurs, aussi impeccables que dévoués, exécutent avec brio la messe en la bémol de Th. Dubois. A noter particulièrement le chant intercalé du Benedictus de la messe de Gounod, ce chef d’œuvre d’inspiration et de religieuse piété, si finement nuancé, au solo, par une voix sympathique.

L’orgue qui s’était presque tu durant l’office du matin, n’était l’offertoire varié sur un Noël breton, si empreint de fraîcheur, exécuté par le compositeur lui-même et si bien, nous réservait de réelles beautés à l’office du soir. Depuis la fugue de Bach, et le canon en sol majeur de Debat Ponsan, sans oublier la gracieuse pastorale de Guilmant et la Toccata en si mineur de Gigout, jusqu’à ces improvisations heureuses du Magnificat, si imitatives des pastorales champêtres, des carillons joyeux, des grandes clameurs, des éléments déchaînés et terminés par une marche solennelle en crescendo et decrescendo, M. Adolphe Marty, l’âme qui animait ce grand orgue, nous tint sous le charme d’un talent véritablement magistral.

Les derniers accords palpitaient encore sous les voûtes médiévales que le panégyriste de la sainte, M. le chanoine Valentin, apparaissait en chaire. L’orateur venait nous parler de la réhabilitation de la femme par la vie et la mort de cette vierge martyre. Il évoque l’image de Cécile au milieu de son temps, opposant sa virginité aux débauches de la Rome impudique, sa charité à l’égoïsme des jouisseurs, son apostolat de foi par l’étude et la parole à l’obscurantisme imposé à son sexe et enfin son héroïsme en face de la mort à ce peuple qui était en chemin de mourir de peur. Sa parole imagée, vive, pleine de distinction et de poésie nous rappela quelles merveilles de peinture, de sculpture, d’architecture avaient été inspirées par cet idéal de femme, quelles merveilles de musique aussi, témoin cet orgue magnifique, restauré par une main habile, secondée par le zèle de M. l’abbé Chabbert, hélas ! prématurément enlevé à son œuvre, par les libéralités épiscopales et aristocratiques, qui épanchait aujourd’hui pour la première fois ses harmonies en l’honneur de la sainte patronne.

Nous étions sous le saisissement de cette grande évocation, quand de l’orgue s’échappaient les premières mesures de la
Sonate héroïque de Sainte Cécile, composée par M. A. Marty pour
la circonstance. Au
milieu du concert angélique de voix célestes tremblantes, Cécile, la vierge martyre, extatique, soupire après le ciel, tandis que la voix d’un ange, envoyé de Dieu, s’entretient avec elle, lui promet de soutenir sa faiblesse et de la protéger contre l’esprit du mal. C’était véritablement céleste, une poésie faite de virginales effusions et de liliales candeurs ; quelque chose de lumineux et de vaporeux ensemble, un peu de la toile d’Azambre : Cécile à son clavecin, avec son profil si pur, les cheveux glissants sur ses épaules, dans des vapeurs d’ouate, le velours des harpes qu’effleurent les doigts angéliques.

Durant le festin des noces de Cécile et de Valérien nous entendons, dans le mode myxolidien des joueurs de flûte exécuter des airs langoureux. C’est une harmonie étrange qui nous transporte à plusieurs milliers d’années en arrière, en pleine mélopée grecque. C’est affectueux, passionné et bien propre à traduire les grands mouvements tragiques. Il y a là de la couleur locale.

Puis c’est l’amour païen de Valérien fougueux dans un style véhément, avec l’opposition du calme et de la sérénité de Cécile, enfin la victoire de l’idéal sur la passion et, comme conclusion, l’apothéose au milieu du concert de l’univers entier qui chante le triomphe de Cécile.

Pour bien apprécier cette sonate héroïque, il faudrait plus encore qu’une simple audition ; c’est d’impression seulement que nous jugeons et notre impression est celle qui naît d’une œuvre puissamment dramatique. L’assemblée entière était émue : c’est le meilleur des témoignages.


Parmi les morceaux du Salut il convient de mentionner l’
O Salutaris en contrepoint moderne d’une allure très large sur une mélodie liturgique et se déroulant comme une procession monacale dans les replis d’une vieille basilique.


Depuis une heure déjà la nuit brumeuse enveloppait d’ombres la gigantesque cathédrale et tandis que nous nous rapprochions de nos demeures et que les derniers accords de l’orgue nous arrivaient encore par ondées de cette masse sombre trouée de larges baies lumineuses, il nous semblait que Cécile au milieu des symphonies célestes faisait vibrer sous ses doigts de vierge les cordes d’un grand luth.

Amédée 
HUC
.


Extrait




Article de J. Lapeyre, Semaine religieuse du Tarn, n°48 du 26 novembre 1904

" Prologue – Cécile, jeune patricienne, a été baptisée dans la foi du Christ, à qui elle s'est vouée sans retour. Nous la voyons en extase, soupirant après le ciel... 28 mesures durant, sur les notes élevées de la voix humaine, avec des douceurs d'intonation et des insistances de dessin qui révèlent une âme suppliante et, peut-être, éperdue... Tout aussitôt l'ambassadeur divin déchire son incognito, et, dans un accompagnement de harpes, annonce sa présence et porte la réponse de Dieu... Cécile a entendu mais elle veut des titres, que l'ange présente... accompagné de harpes supraterrestres...

Premier acte –
...C'est en mode grec, plus proprement dans le mode myxo-lydien, que sonne le chant d'Hyménée, dit par la flûte harmonique en exposition, et repris successivement et en variations par la flûte du grand orgue, le cornet et le hautbois....

Deuxième acte – Il est intitulé "
Entretien et conversion" Après un début sur les jeux de fonds du grand orgue, où Valérien exprime son amour à Cécile, un dialogue s'établit entre les jeunes époux sur le hautbois du récit en une mélopée plutôt plaintive et sans conclusion définitive... Un jet de lumière vient tomber tout à coup sur cette angoisse, en une polyphonie claire et troublante de l'unda maris... Le colloque a pris fin : l'époux frémissant s'agenouille..... C'est l'endroit de la pièce le plus dramatique à mon sens... Dans un génial canon à l'octave, où les deux voix s'enlacent dans une étreinte indissoluble, Cécile nous apparait, articulant avec délire son Credo, que Valérien redit phrase par phrase, comme la première leçon de la foi et de l'amour au Rédempteur...

Epilogue – C'est le triomphe et l'apothéose... Le ciel à son tour va célébrer l'apothéose de la sainte martyre. Comment ravir aux chœurs célestes des accents que l'oreille humaine n'entendit jamais... et dans le silence de tous les jeux de l'orgue, la voix humaine ramènera la prière de Cécile, et la clarinette la réponse de l'ange ; et tandis qu'en un écho lointain, se perdant dans l'infini des cieux, le piffaro et le bourdon de 8 égareront, jusqu'aux dernières frontières, les derniers accents de la louange céleste, les flûtes de la pédale viendront, en langage humain, murmurer les 5 principales notes de l'hymne de la terre,
" laissant par degrés l'église, jusque là lumineuse, rentrer dans sa profonde obscurité " (Balzac).


L'abbé J. LAPEYRE.


L'évocation de la vie de Cécile, prononcée par le Chanoine Valentin, lors du concert inaugural, n'en fut pas moins délirante et suscita, elle aussi, des commentaires tous aussi délirants :   

Article de J. Lapeyre, Semaine religieuse du Tarn, n°48 du 26 novembre 1904

" Dans l'art oratoire, M. le chanoine Valentin a su nous procurer des émotions tout aussi agréables. L'on s'était promis un régal assez piquant de voir le verbe fougueux et primesautier du maître toulousain aux prises avec un sujet d'apparat réclamant une allure compassée, plutôt solennelle et majestueuse. Et voilà que l'orateur ardent s'est souvenu qu'il était professeur. La richesse de sa gamme doit être inépuisable, car il a mis toutes les ressources de son esprit brillant et caustique au service d'une thèse puissamment charpentée — assez connue mais toujours d'actualité — la réhabilitation de la femme par le christianisme. Les arguments s'avançaient pressés et méthodiques, montrant comment la femme chrétienne s'est libérée par l'héroïsme de la virginité, de la charité, de l'apostolat et du martyre.

Mais ils s'agrémentaient de mots phosphorescents, de traits inattendus, de fusées rapides et multicolores, de la finesse et de l'humeur qui est le secret des hommes d'esprit.

Jusqu'à ces pauvres damnés qui se démènent en d'horribles contorsions au bas des fresques décorant les colonnes de Saint-Clair qui se sont crus ravis au Ciel !
"

D'autres articles parurent également dans Le Monde Musical du 15 janvier 1905, dans le numéro 243 de L'Art Méridional, dans La Musique Sacrée (s.d.), etc.


Invitation de l'Archevêque d'Albi


5. – QUELQUES TÉMOIGNAGES


Lettre de L. Vergnes, organiste de Montréal (Aude), à Jean-Baptiste Puget 


Montréal, le 28 9bre 1904

Mon cher Ami,

Maintenant que les fêtes de Sainte-Cécile sont terminées, et que le succès qu’elles ont obtenu passe à l’état de souvenir, permettez-moi de vous dire combien j’ai été heureux du magnifique succès remporté par l’admirable instrument que vous avez construit à Alby, si brillamment inauguré par le Maître Marty.

Laissant de côté la vieille amitié qui nous unit, et qui pourrait influencer sur l’appréciation artistique de l’instrument, il est de mon devoir de vous adresser mes plus sincères félicitations pour le talent réel qui résulte de la composition des jeux de l’orgue et de leur parfaite distribution sur les claviers, chacun de ces derniers possède un ensemble excellent, et est à peu près unique en son genre.

Les fonds sont d’un moëlleux remarquable, et possèdent une belle sonorité qui surprend dans leur ensemble ; je vous vanterai les jeux d’anches dont la belle résonance n’a pas le timbre pétardier qui étouffe totalement et supprime les sons des jeux de fonds.

Vous avez su vaincre cette difficulté et votre instrument, pareil à un excellent orchestre, laisse entendre sans les écraser la plupart des timbres des jeux qui le composent.

Je dois vous faire part d’une impression pénible que j’ai éprouvée pendant les beaux versets du Magnificat : en écoutant la belle musique de Mr Marty, je pensais à une personne qui nous est bien chère à tous deux, vous devinez que c’est de votre frère Eugène que je veux parler.

Oh ! Si cela lui était donné de revenir, et qu’il eut été le témoin et l’auditeur de cette belle manifestation artistique résultant de la construction d’un instrument si beau, sorti de sa maison, combien il eut été heureux de voir en son plus jeune frère le continuateur de cette réputation si justifiée qu’il avait attaché à sa maison : il serait fier de vous, comme nous le sommes tous ceux qui sommes vos amis. S’il est vrai que ceux qui nous ont aimé sur la terre, nous protègent encore, même à travers l’au-delà, pour sûr son âme a été au milieu de nous et à vos côtés durant la journée du 19 9bre.

Peut-être ai-je eu tort de vous rappeler de tristes souvenirs en cette circonstance, où votre triomphe vous porte à la joie, mais que voulez-vous, mon cœur est toujours resté fidèle aux amitiés et aux souvenirs.

Permettez-moi donc en cette circonstance de vous féliciter d’abord et ensuite de vous embrasser comme je vous aime.

Présentez mes amitiés à Madame Puget, qui n’avait pas l’air d’être à son aise au banquet en écoutant les propos de Ponsan et de Marty, quels artistes ! mais mal embouchés, mes amitiés à Maurice et à Louis dont je n’ai pas eu le temps de vous demander des nouvelles.

Tous les miens se joignent à moi, et se rappellent à vos bons souvenirs.

Tout à vous,

 L. Vergnes


Article de J. Lapeyre, Semaine religieuse du Tarn, n°48 du 26 novembre 1904  


"... Je ne vais pas me perdre dans l'étude comparée des deux compositions du vieil orgue et du nouveau. Qu'il me suffise de mettre en regard le total des jeux de l'instrument de Moucherel et celui des jeux de l'orgue actuel.
MOUCHEREL : 51 jeux, comprenant 2.588 tuyaux, distribués sur 4 claviers manuels, et un clavier-pédalier de 25 notes seulement avec 4 pédales de combinaisons.
THÉODORE PUGET : 74 jeux, comprenant 4.595, distribués sur 4 claviers manuels, dont 3 expressifs et un clavier-pédalier de 30 notes avec 25 pédales et 5 registres de combinaisons.

Comme nombre de jeux, je ne connais en France que deux instruments qui dépassent le nôtre : les orgues de Saint-Sulpice et de N.-D., à Paris. Je ne pense pas qu'il y en ait d'autres possédant les qualités réunies de montre, de sonorité dans l'ensemble, de douceur dans le détail, de spécification dans les timbres, et d'ingéniosité dans l'agencement des registres, au même degré que l'orgue restauré par Théodore Puget à Sainte-Cécile d'Albi.

Le système de transmission tubulaire et l'établissement de 5 machines pneumatiques annihilent la résistance des claviers qui serait, sans cela, formidable, quand les 74 jeux donneraient à la fois, et permettent ainsi aux voix les plus lointaines (15 m. 60) de répondre instantanément à l'appel de la touche et aux allures les plus vives de se dérouler sans difficulté.

Le chef d'œuvre de lignes et de couleurs qu'est la Métropole d'Albi ne demandait pas moins que ce chef d'œuvre de facture et de sons...
"



Lettres du baron Fernand Fouant de la Tombelle, suppléant de Théodore Dubois à la Madeleine et d'Alexandre Guilmant à la Trinité & à la Schola Cantorum, cofondateur de cette institution, à Jean-Baptiste Puget


Baron Fernand FOUANT DE LA TOMBELLE


Lettre sans date (1909)

Mon cher Puget,

"Le 28 juillet vers midi, j'arrive à Albi avec toute une troupe [illisible] de Périgueux pour déjeuner à l'hôtel de la poste, visiter la Cathédrale et repartir pour Castres. On m'a demandé de faire entendre le fameux orgue de Ste Cécile pendant la visite. J'ai donc écrit à l'abbé Crayol qui vient de me répondre qu'il mettrait les claviers et les souffleurs à ma disposition..."



Lettre sans date (1926 ?)

"... J'ai revu Albi. Quel chef d'œuvre vous avez fait là mais j'eusse préféré un clavier de solo à celui d'écho, solo à forte pression, bien entendu."


Carte postale de Henri Cabié, organiste de la collégiale Saint-Salvi d'Albi, à Jean-Baptiste Puget
Henri Cabié (1900 - 1969) fut l'élève de Marcel Dupré au Conservatoire de Paris.


Rabastens, le 16 septembre 1927

Cher Monsieur,

Monsieur l'abbé Fauchard et moi-même sommes allés hier à Albi où nous avons admirés une fois de plus les merveilleuses sonorités et les innombrables ressources de votre remarquable instrument. Grâce à l'amabilité avec laquelle nous a reçus Monsieur l'Abbé Crayol, nous avons pu pendant 3 heures, jouir de tous les détails de cet orgue magnifique à tous égards. Nous sommes rentrés enthousiasmés et sommes heureux de vous manifester notre enchantement. Nous vous renouvelons tous nos remerciements pour l'accueil si bienveillant que vous nous avez réservé l'autre jour à Toulouse et nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments respectueux.

Henri Cabié


Carte Henri Cabié



Lettre d'Albert Périlhou, organiste de Saint-Séverin à Paris, à Jean-Baptiste Puget


Lettre sans date

"... J'ai été émerveillé de votre orgue et je le raconte à tout le monde. C'est le digne rival de Saint-Sulpice et de Notre-Dame, avec cette différence qu'il est admirablement distribué et que la pédale de crescendo est d'un effet incomparable... Vous êtes à l'avant garde des facteurs français..."


Lettres de Léonce de Saint-Martin, organiste de Notre-Dame de Paris, à Jean-Baptiste Puget


Lettre de Léonce de Saint-Martin à Jean-Baptiste Puget

2 avril 1928 : "... Vous savez que dans l'orgue d'Albi s'incarnent mes vacances et je bénis cent fois le Seigneur de m'avoir si bien privilégié..."
[Saint-Martin est alors suppléant de Louis Vierne.].



Lettre de Léonce de Saint-Martin à Maurice Puget


29 mai 1944 : "... Je pense à votre bel orgue d'Albi qu'il serait tout de même temps de dépoussiérer. J'évoque cette année 1904 où il parut dans toute sa splendeur. Il y a 40 ans... Où est ma jeunesse ?..." [Il est à présent titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris depuis la mort de Vierne en 1937.].


Comte Léonce de SAINT-MARTIN


Lettre de Bernard Gavoty, critique musical, organiste de Saint-Louis des Invalides à Paris, à Jean-Baptiste Puget


Avril 1937

Monsieur,

J'ai pu, mercredi et jeudi dernier, grâce à votre obligeance et à celle de Mr. le professeur Bédart, visiter tous les instruments intéressants de Toulouse et d'Albi. Les deux orgues d'Albi sont admirables...
[Il s'agit des instruments de la cathédrale et de la collégiale Saint Salvi.]





Lettre de Jean-Albert Villard, organiste de l'orgue François-Henri Clicquot de la cathédrale de Poitiers, à Maurice Puget


Poitiers, ce mardi 5 juillet 1955


Monsieur,

Je me propose passant par Lavaur, de m’arrêter à la Cathédrale pour y voir et entendre si possible l’instrument de Cavaillé que vous avez, je crois, restauré il y a quelques mois…

… Allant à Lavaur, il m’est facile d’aller à Albi. En quel état est actuellement le chef d’œuvre de la Cathédrale, frère de celui de Narbonne que je connais bien et que j’ai visité grâce à mes amis Rivel ? On m’avait dit que l’orgue était « fatigué ». Mon ami Robert Boisseau m’avait toujours vanté l’harmonie des batteries d’anches, notamment celle du Récit Expressif, et M. Rivel également. Je serai très heureux si l’orgue était en état de fonctionnement suffisant pour que j’aie une idée assez juste d’un instrument qui a tant fait parler de lui…

 


6. – LA FIN


Le 15 mai 1954, à l'occasion d'un récital de l'organiste André Marchal, le musicologue Norbert Dufourcq lança un appel véhément : "L'orgue que vous entendez ce soir est un grand malade dont la voix risque de s'éteindre bientôt si on ne porte pas promptement remède." Il fallut attendre 1971 pour qu'un traitement soit enfin apporté...

Aux grands maux, les grands remèdes : une commission constituée à l'époque de Mesdames Marie-Claire Alain, Marie-Louise Girod, et de Messieurs Michel Chapuis, Xavier Darasse, Norbert Dufourcq, Maurice Duruflé, André Fleury, André Isoir, Gaston Litaize et André Marchal approuve un "Devis pour la restauration du Grand Orgue de la Cathédrale Sainte-Cécile" établi par Kurt Schwenkedel le 26 avril 1971.

En fait de restauration, il s'agissait tout simplement de la destruction de l'orgue Puget et du remplacement de celui-ci par un grand orgue d'esthétique néo-classique de 77 jeux, répartis sur 5 claviers manuels, grande pédale et petite pédale. Il est vrai qu'à cette époque les mots de restauration et de reconstruction étaient encore souvent, sous deux vocables différents, la désignation d'une seule et même opération. Suite à la cessation d'activité de la Maison Schwenkedel, le projet fut réorienté vers une composition de compromis se rapprochant de celle l'orgue de 1824 et le marché fut attribué à Bartolomeo Formentelli, facteur d'orgues à Vérone (Italie).


Norbert Dufourcq par Gabriel Bédart


Pour justifier le démantèlement d'un tel instrument, on pouvait lire dans un même article de presse, sous la plume d'un seul et même auteur, les lignes suivantes :

"... Un profane - vous et moi - les entend encore tonner, prodigieuses de puissance et d'effets, leur roulement met sept secondes
à s'éteindre dans la cathédrale, elles savent toujours se faire suaves et tendres, ou nostalgiques et même priantes..." Deux paragraphes plus loin, voilà que les jeux de notre orgue se révèlent "incapables chacun de se faire valoir, faute d'air et de lumière... ça n'éclate pas, ça ne sonne pas..." !!!

On y apprend aussi que l'orgue Puget était "semblable aux arbres dans une forêt touffue, se gênant les uns les autres dans leur croissance et leur expansion... le rythme est bousculé, la mélodie noyée,
les harmonies écrasées..." Quelques paragraphes plus loin, on nous propose la solution : "... il faut aérer, c'est à dire donner à chaque tuyau et à chaque jeu toutes ses possibilités expressives, en lui accordant tout son espace vital..." Quand on voit aujourd'hui la place occupée par l'actuel instrument de Bartolomeo Formentelli et ses 55 jeux, qui laisse à peine une trentaine de centimètres entre le sommier de grand orgue et le mur du fond de la cathédrale, on peut légitimement se demander comment un instrument de 77 jeux avec Bombarde 32' aurait pu être aéré dans un buffet d'un mètre quatre-vingt-dix de profondeur !!!

Mais la vraie raison à tout cela se trouve dans ce même article : "Il manque à cet orgue... du scintillement, de la lumière ; il ressemble à un vitrail surchargé auquel le rayon de soleil n'apporte pas la vie. En termes techniques, il y a trop de jeux de fonds, trop d'anches, et pas assez de mutations, de mixtures, ces jeux qui apportent la couleur et la distinction."

Il ne s'agit pas ici de lancer la pierre à qui que ce soit ! Cet orgue a été avant tout victime de son époque : il aurait été inconcevable de restaurer un instrument avec sa transmission pneumatique en 1971 ! On pourra se consoler en se disant qu'aujourd'hui une telle chose ne serait plus possible (???) et qu'à l'instar d'autres instruments pneumatiques célèbres, l'instrument serait restauré tel qu'il était sorti des mains de Jean-Baptiste Puget et de ses compagnons. Nous nous contenterons de citer, à titre d'exemple d'instruments pneumatiques scrupuleusement restaurés, l'orgue Sauer (1905) de la Cathédrale de Berlin (4 claviers, 113 jeux) et l'orgue Hill & Son (1886/89) du Town Hall de Sidney (5 claviers, 127 jeux, tubulaire pneumatique et machine Barker).


Albi - Composition prévue Schwenkedel 1971 et réalisée Formentelli 1981


Albi - Intérieur de la Cathédrale


Ainsi disparut celui qui fut le troisième orgue de France, (après Saint-Sulpice et Notre-Dame de Paris et avant les travaux d'agrandissement de l'orgue de Saint-Eustache par Victor Gonzalez en 1932) et le chef d'œuvre de la Maison Puget.




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